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Inclusion des élèves de 6e SEGPA en classe ordinaire : éléments de réflexion

SEGPA : Inclusion des élèves de 6e

Cet article n'a qu'un seul objectif : donner des informations issues des recherches pour éclairer le choix d'aller vers plus ou moins d'inclusion pour les élèves pré-orientés en 6ᵉ SEGPA.

Ne sont pris en compte ni les arguments syndicaux ni les aspects politiques qui ne sont pas étrangers aux positions des uns et des autres.

 

Le premier écueil est de choisir les recherches qui seront citées, chaque choix pouvant être discuté. Aussi ai-je choisi de me référer autant que faire se peut à la conférence de consensus sur la différenciation pédagogique organisée par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) au cours de laquelle des chercheurs divers ont apporté des contributions qui ont fait consensus.

Lorsqu'aucune occurrence n'était disponible, le niveau de recherche requis se situe au niveau de la méta-analyse ou d'essais comparatifs randomisés de forte puissance qui constituent le plus haut niveau de preuve.

 

Deux références liminaires à la circulaire n° 2015-176 du 28 octobre 2015 relative au sections d'enseignement général et professionnel adaptés :

  •  « Au sein d’un collège plus inclusif, la SEGPA, bien identifiée comme structure, doit permettre, pour les élèves issus de classes de CM2 pré-orientés en SEGPA, de poursuivre les enseignements du cycle de consolidation, et pour l’ensemble des élèves en situation de grande difficulté scolaire d’être mieux pris en compte dans le cadre de leur scolarité en collège. »
  • Les élèves sont pré-orientés en 6e SEGPA. Les modalités d’enseignement choisies doivent « permettre de réinterroger l’opportunité d’une orientation à l’issue de l’année de classe de sixième avec une nouvelle étude du dossier ».

Un autre élément est à prendre en considération. Au collège, si la SEGPA regroupe des élèves en grande difficulté, ils ne sont pas les seuls. Chaque classe de 6ᵉ dite « ordinaire » compte un ou plusieurs élèves avec des difficultés du même ordre, voire plus importantes.

Un dispositif inclusif permettrait de mieux les prendre en compte également.

 


Les recherches scientifiques nous permettraient-elles d'éclairer les choix possibles ?

  • Que disent les recherches sur les modalités possibles pour scolariser des élèves pré-orientés en 6ᵉ SEGPA, sachant qu'aucune étude ne s'est intéressée spécifiquement à cette charnière?
  • Les élèves pré-orientés doivent être inscrits dans une classe de référence. Vaut-il mieux les regrouper dans une seul classe de 6ᵉ ou les répartir sur plusieurs, voire toutes les classes de 6ᵉ du collège?
  • Est-il préférable d'inclure un peu (en EPS, arts et une ou plusieurs matières à choisir entre sciences, technologie et histoire-géographie-EMC), beaucoup (toutes les matières sauf français et mathématiques par exemple) ou totalement?
  • Enfin, quelles modalités ou aménagements offrent les meilleures perspectives de progression aux élèves?

Maintenir une classe de 6ᵉ SEGPA ou aller vers l'inclusion?

Si les textes sont clairs en faveur de l'inclusion, cela n'empêche qu'il peut y avoir débat.

 

Que ce soient les enseignants de SEGPA, les professeurs du collège ou même les parents d'élèves, les manifestations d'une certaine nostalgie ne sont pas rares.

Cette structure a effectivement fonctionné en Moselle mieux qu'ailleurs. Je ne l'écris pas par chauvinisme, mais le taux moyen d'accès à un diplôme pour les élèves de SEGPA a été de 37% dans la note d'information de la DEPP publiée en février 2017, alors qu'il est proche de 50% en Moselle depuis plusieurs années, l'académie de Nancy-Metz faisant partie des six académies avec les meilleurs résultats (voir carte P3 du document précédemment cité).

 

Par contre, d'une manière générale, regrouper des élèves présentant peu ou prou le même type de difficultés dans des structures "à part" a un effet globalement négatif reconnu par les études.

Il s'agit en effet d'une différenciation structurelle dont les effets ont été investigués « par les chercheurs en sciences de l’éducation. Il est peu de questions qui aient été autant étudiées, et pour lesquelles on dispose de résultats de recherche aussi solides, reposant sur des approches diversifiées et menées dans une variété de contextes : recherches quasi expérimentales, recherches en milieu naturel, enquêtes internationales, recherches à caractère plus théorique débouchent sur un ensemble de conclusions remarquablement concordantes. » In Conférence de consensus sur la différenciation pédagogique - Notes d'experts P14

 

« De plus, les enquêtes internationales démontrent que le regroupement homogène d’élèves va de pair avec un accroissement des inégalités en fonction de l’origine sociale. » In Cnesco (2017). Différenciation pédagogique : comment adapter l'enseignement à la réussite de tous les élèves ? Dossier de synthèse P25.

Et de poursuivre :« Des études ont mis en évidence que si des politiques de regroupement  par  classes  de  niveaux  peuvent  se  révéler  efficaces  pour  les  apprentissages  des élèves placés dans des classes fortes, elles ont des conséquences négatives pour les élèves placés dans les classes les « moins fortes ». De telles politiques conduisent à des performances moyennes des systèmes éducatifs et accentuent les différences de performance entre les élèves faibles et les élèves forts. »

 

Sans entrer dans le détail des effets délétères de cette différenciation structurelle, notons qu'au mieux elle permet de faire progresser les élèves au même rythme que s'ils étaient en classe hétérogène, mais que très souvent leur progression est inférieure à celle qu'ils auraient pu avoir en ayant poursuivi leurs scolarité en classe ordinaire.

 

Aller vers davantage d'inclusion semble donc plus profitable pour les élèves.

Reste à en déterminer les conditions et les modalités pour qu'elle soit le plus favorable possible.

 


Répartir les élèves pré-orientés en 6ᵉ?

La réponse apportée par les différentes recherches est claire et bien résumée dans la conférence de consensus: il s'agit de préserver l'hétérogénéité des classes.

 

« R18. Favoriser l’hétérogénéité des regroupements des élèves, tout en organisant des groupes restreints temporaires. La différenciation, par classes ou groupes de niveaux ou par options - pour le second degré -, effectuée de manière permanente, amplifie les écarts de performances entre élèves et creuse les inégalités, notamment celles liées à l’origine sociale. Les établissements et les écoles doivent privilégier les classes hétérogènes. » In Recommandations du Jury, conférence de consensus du CNESCO, P22 www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/03/CCDifferenciation_recommandations.pdf

 

Or le regroupement de tous les élèves pré-orientés dans une seule classe, voire dans deux classes (selon le nombre d'élèves pré-orientés, il s'agit de 8 élèves pour une demi-division ou 16 élèves pour une division entière), ne permet pas de garantir une hétérogénéité suffisante. Il ne s'agit pas de créer une division de 6ᵉ SEGPA bis.

Au delà de 3 à 4 élèves par classe, l'hétérogénéité n'est plus vraiment au rendez-vous, sachant que parmi les collèges avec SEGPA, rares sont ceux qui n'accueillent pas également une ULIS.


L'inclusion: question de quotité horaire?

Certains paramètres « exogènes » sont plus ou moins facilitateurs pour l'inclusion. Les contraintes sont multiples. Certaines sont liées aux élèves scolarisés (par exemple le nombre d'élèves orientés par la MDPH et l'ampleur ou la nature de leurs difficultés). D'autres relèvent de l'établissement avec en particulier les contraintes de répartition de la dotation horaire.

 

Les recherches peuvent-elles nous donner des pistes quant aux manières d'aller vers l'inclusion ?

Cette présentation n'a pas vocation à être exhaustive, mais je n'ai trouvé aucune étude allant dans le sens contraire.

Si le lecteur en connaît, merci de me les communiquer.

  1. « Toutefois, des recherches montrent que des regroupements homogènes peuvent être efficaces s’ils visent l’acquisition d’une compétence très précise et s’inscrivent exclusivement dans la durée d’une séquence d’apprentissage. » In Recommandations du Jury, conférence de consensus du CNESCO, P22 www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/03/CCDifferenciation_recommandations.pdf
  2. Dans les conclusions de la synthèse du rapport Lire et écrire conduite par Laurent Goigoux : « En revanche, proposer à certains élèves des tâches dont les contenus diffèrent et se substituent à celles attribuées au reste du groupe classe produit des effets négatifs sur les résultats des élèves les plus faibles. » In http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport P59
  3. « Nous avons vu que la différenciation pédagogique peut s’entendre comme un dispositif d’aide, a priori ou a posteriori pour les élèves en difficulté ou d’adaptation aux besoins des élèves au sein du groupe classe, dans une situation d’apprentissage collectif ou par petits groupes. Nous savons aussi que l’externalisation des élèves en difficulté n’a pas fait la preuve de son efficacité pour certains élèves. » In dossier Ifé – Différenciation pédagogique en classe, P21

La différenciation structurelle a des effets délétères. Sortir les élèves d'une classe de référence au-delà de la durée d'une séquence d'apprentissage également. Il s'agirait donc de viser prioritairement l'inclusion totale.

 


Quels aménagements pour être le plus efficace possible?

Quelques pistes sont déjà évoquées dans les extraits précédents. Nous allons les préciser davantage:

  • Co-enseignement
  • Différenciation pédagogique
  • Regroupements ponctuels pour des compétences précises
  • Enseignement explicite
  • Tutorat

Le co-enseignement

A la différence de la co-intervention, « le co-enseignement concerne donc l’ensemble des tâches d’un enseignant (planification, correction, gestion de classe, etc.) et non uniquement l’enseignement stricto sensu. » In Conférence de consensus sur la différenciation pédagogique - Notes d'experts p48.

 

Citons les conclusions in extenso :

« Rea, McLaughlin et Walter-Thomas (2002) ont comparé deux dispositifs destinés à des élèves ayant des difficultés d’apprentissage : l’un en classe ordinaire avec du co-enseignement et l’autre dans un groupe séparé à fort ratio. Les élèves en coenseignement montrent des résultats meilleurs en réussite scolaire, en langue et mathématiques et une plus grande assiduité scolaire. Cependant, aucune différence n’est observée sur le niveau de maîtrise de l’anglais et les exclusions scolaires.

Fontana (2005) a étudié l’effet du co-enseignement en langue et mathématiques pour des élèves ayant de grandes difficultés scolaires en le comparant à un enseignement solitaire. Les performances des élèves en classe de co-enseignement ont augmenté tant en anglais (0,81) qu’en mathématiques (0,40), contrairement à ceux en classe ordinaire avec co-intervention. Par ailleurs, les élèves estiment recevoir plus d’aide, bénéficier d’approches et de styles d’enseignement différents et ainsi obtenir de meilleurs résultats (Wilson & Michaels, 2006).

Comparant les résultats d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage sur deux ans suite à une expérimentation d’enseignement solitaire puis de co-enseignement, Hang et Rabben (2008) ont constaté que les élèves ont obtenu de meilleurs scores en lecture et en mathématiques dans un cadre de co-enseignement que l'année précédente en présence d'un seul enseignant.

Dans une recherche réalisée en Belgique comparant deux dispositifs destinés à des élèves ayant de grandes difficultés scolaires (co-enseignement en classe ordinaire à temps plein vs enseignement solitaire en classe spéciale à temps plein), Tremblay (2012 ; 2013) observe que les élèves en difficultés d’apprentissage scolarisés en classe de co-enseignement obtiennent des résultats significativement meilleurs en lecture/écriture que ceux en classe séparée à fort ratio enseignant/élèves. De plus, les écarts avec le groupe contrôle s’agrandissent d’année en année alors que ceux des élèves en difficultés et ceux sans difficulté en classe de co-enseignement s’amenuisent graduellement. » In Conférence de consensus sur la différenciation pédagogique - Notes d'experts P48 et suivantes.

 

Si le résultat des recherches actuelles est univoque, comment se fait-il qu'il soit si peu pris en compte?

Le co-enseignement est LA modalité à privilégier pour aider les élèves les plus fragiles.

 

La différenciation pédagogique

Le champ est moins dégagé en ce qui concerne la différenciation pédagogique, beaucoup plus vaste, avec des approches très variées et, de ce fait, difficile à opérationnaliser.

« Malgré l’hétérogénéité du champ, les auteurs s’accordent sur les définitions générales de la différenciation pédagogique. Si l’on suit Przesmycki (2004) : La pédagogie différenciée est une pédagogie des processus : elle met en œuvre un cadre souple où les apprentissages sont suffisamment explicités et diversifiés pour que les élèves puissent travailler selon leurs propres itinéraires d’appropriation tout en restant dans une démarche collective d’enseignement des savoirs et savoir-faire communs exigés. Une confusion courante subsiste néanmoins entre différencier et varier son enseignement. Si diversifier ses gestes d’enseignement constitue une dimension fondamentale de la différenciation, cette condition n’est pas suffisante pour autant. La DP dépasse l’idée d’offrir des conditions d’apprentissage variées puisque ces mêmes conditions ne sont pas déployées par hasard mais bien en réponse à des besoins préalablement identifiés chez les élèves. » In Conférence de consensus sur la différenciation pédagogique - Notes d'experts P17.

 

Dans les pages suivantes, l'auteure, Alexia FORGET, propose une description des différentes occasions et intentions poursuivis par la pédagogie différenciée selon que l'enseignant agit avant, pendant ou après la séquence d'enseignement.

 

L'ensemble du dossier sur la différenciation pédagogique peut également être utilement consulté sur le site du CNESCO, tout comme le dossier Ifé – Différenciation pédagogique en classe

Les regroupements ponctuels sur des compétences précises

« Toutefois, des recherches montrent que des regroupements homogènes peuvent être efficaces s’ils visent l’acquisition d’une compétence très précise et s’inscrivent exclusivement dans la durée d’une séquence d’apprentissage. » In Recommandations du Jury, conférence de consensus du CNESCO, P22 www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/03/CCDifferenciation_recommandations.pdf

 

Des exemples:

Dans la SEGPA que je dirige, nous travaillons sur la fluence en lecture sur une période précise de 8 semaines avec des élèves qui maîtrisent insuffisamment le code pour espérer accéder à la compréhension (lien existant entre vitesse de lecture et compréhension), qu'ils soient scolarisés en ULIS, SEGPA ou en 6ᵉ de collège.

Sur une autre période de 8 semaines, nous visons une meilleure compréhension de l'implicite avec TACIT de l'université de Rennes 2. Cela concerne néanmoins partiellement les mêmes élèves.

L'enseignement explicite

Il existe deux acceptions de l'enseignement explicite.

 

Vous trouverez une description de la première dans le sens 'Direct instruction' à cette page. Les recherches sont nombreuses dans les pays anglo-saxons et, essentiellement, au Canada. Ainsi, Steve Bissonnette écrit en 2008 en conclusion de sa thèse (P122-123) "le recours aux méthodes  d'enseignement explicite, dont l'efficacité a été montrée autant au niveau de la classe qu'au niveau de l'école, semble être une orientation pédagogique à privilégier dans les écoles situées dans des quartiers défavorisés."

L'efficacité de cette approche pédagogique trouve un écho dans les recherches sur la charge cognitive, théorie qui reste très discutée.

 

La deuxième acception est présentée dans cet article, qui se réfère plus spécifiquement à des recherches menées en France. Il est dommageable que ces deux acceptions utilisent le même vocabulaire, entretenant une confusion inutile alors qu'elle fait référence au concept de clarté cognitive.

 

A la frontière des deux acceptions, citons également une intervention de John Hattie, auteur de L'apprentissage visible pour les enseignants : « Plus les objectifs d’apprentissage de l’enseignant sont transparents plus l’élève est susceptible de s’engager dans les tâches à accomplir pour les réaliser. Plus l’enfant est conscient des critères de réussite plus il peut comprendre les actions qui doivent être menées pour les remplir. »

 

Le tutorat

« La pédagogie coopérative s’appuie sur le tutorat entre élèves : elle consiste à créer au sein de la classe des petits groupes d’élèves de niveaux scolaires différents afin qu’ils puissent s’entraider. Les recherches ont mis en évidence des effets très positifs de cette pédagogie sur les résultats des élèves. Le tutorat favorise les résultats des élèves en difficulté en complétant, rappelant, revisitant des aspects non maîtrisés d’une notion en cours d’acquisition. L’approche d’un élève tuteur est moins formelle que celle d’un enseignant. Les recherches montrent également que le tutorat aide significativement les apprentissages de l’élève tuteur. Il valorise les élèves avancés en leur confiant la responsabilité d’aider leurs camarades en difficulté et en leur permettant d’approfondir la compréhension des notions à transmettre. » In Cnesco (2017). Différenciation pédagogique : comment adapter l'enseignement à la réussite de tous
les élèves ? Dossier de synthèse P27

 

Il est néanmoins nécessaire de former les élèves à être tuteurs pour différencier "faire à la place de" et "apporter les explications pour permettre à X de faire par lui-même".

Quelques autres idées

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